Le Père Thierry Magnin s’exprime à propos du décès de M. Vincent Lambert
Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner dans la Croix.
“Quelle est votre première réaction à cette annonce ?”
Le recueillement d’une part et une profonde tristesse d’autre part. Recueillement devant la mort d’un homme durement frappé par un terrible accident et la grandeur d’une vie humaine quelles que soient ses conditions, une grandeur qui va tellement au-delà de tous les arguments en faveur ou en défaveur du choix que les médecins et la justice ont fait d’y mettre fin. Une tristesse parce que le drame de l’accident se double d’un drame peut être pire encore, celui du déchirement d’une famille, intensifié par une bataille juridique qui paraissait sans issue.
Je pense aux parents de Vincent Lambert qui ont donné la vie à leur fils et l’ont défendue jusqu’au bout. Je pense aussi à son épouse. Elle a dû prendre une décision en voulant bien faire. Cependant certains arguments défendus par ceux qui se mettent dans « son clan » m’inquiètent vraiment. Toute cette famille a droit au recueillement, au respect et au calme.
“L’Église a-t-elle fait tout ce qu’elle a pu ? Pourquoi n’a-t-elle pas été entendue ?”
De nombreuses personnalités de l’Eglise catholique, des laïcs, des religieux, des prêtres et des évêques, ont clairement exprimé leur désapprobation du choix final retenu par la justice après bien des rebondissements. Je pense en particulier à la délicatesse pleine de fermeté de la prise de position de l’archevêque de Reims dans le sens du respect de toute vie. Mais il est difficile aujourd’hui à beaucoup de personnes dans notre société française d’entendre vraiment ce que dit l’Eglise catholique à ce sujet. On la taxe vite de « bio-conservatrice » parce qu’elle promeut la dignité inaliénable de tout être humain. Cette réaction est une manière de disqualifier d’entrée son message et de ne pas l’entendre dans toute sa profondeur. Or notre société est en grand manque de repères. Ainsi, ce qui a été dit de la foi supposée aveugle des parents de Vincent Lambert n’est pas acceptable, même si je comprends qu’on puisse ne pas y adhérer.
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Déclaration du groupe bioéthique sur la fin de vie
Déclaration du Groupe bioéthique
Monsieur Vincent Lambert, dans son immense fragilité, nous convoque tous au respect de l’éthique et de l’État de droit. Prenons le temps de la réflexion.
1. Commençons par l’État de droit. M. Vincent Lambert a le droit à une protection adéquate, comme toute personne handicapée. Chaque personne handicapée, aussi fragile soit-elle, a des droits égaux à toute autre personne. La France le sait puisqu’elle a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Le Comité international des droits des personnes handicapées (CIDPH) de l’ONU a été saisi au sujet de M. Vincent Lambert, et a répondu que cette saisine était recevable. Le Comité a demandé que les soins prodigués à M. Vincent Lambert soient maintenus tant qu’il ne s’était pas prononcé sur le fond. Le Gouvernement a donné son avis au Comité en affirmant que ce maintien des soins n’était pas envisageable car il « priverait d’effectivité le droit du patient à ne pas subir d’obstination déraisonnable ». Après ce refus, le CIDPH vient de réitérer sa demande que l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert « ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier ».
Pourquoi ne pas attendre la réponse sur le fond de la part du Comité de l’ONU ? M. Vincent Lambert est un citoyen qui a le droit au respect des règles démocratiques dont le minimum est la cohérence avec les conventions signées. Pourquoi l’État français, qui met son honneur dans la promotion des droits de l’Homme, se dispenserait-il du respect de cette Convention pour M. Vincent Lambert ? Pourquoi cette précipitation pour le conduire vers la mort ? On peut répéter que la décision prise ne concerne bien sûr que M. Vincent Lambert car sa situation est unique et complexe. Mais qui garantira que toutes les personnes partageant un handicap analogue au sien seront effectivement protégées par l’État qui, tout en s’y engageant officiellement, bafouerait aujourd’hui son engagement ? La crédibilité de l’État passe par le respect de sa parole donnée. Il paraît donc sage et nécessaire d’attendre la réponse sur le fond du Comité de l’ONU.
2. Venons-en à l’éthique. La protection des personnes les plus fragiles demeurera toujours le signe et la mesure de l’humanité d’une société. Cette protection demande un accompagnement le plus ajusté possible et des soins les plus appropriés à chaque situation de fragilité. Cette protection nécessite une solidarité active de toute une société et une ambition internationale. Par la loi, notre société a confié aux médecins la mission de prendre soin de la santé physique et psychique de chaque personne fragile. Notre loi française leur donne un cadre pour que ce soin soit donné le mieux possible en évitant toute obstination déraisonnable. Pour les médecins s’occupant de M. Vincent Lambert, l’État français a jugé qu’ils n’avaient pas enfreint la loi. Pour autant, l’État ne s’est pas prononcé sur la décision éthique elle-même : arrêter l’hydratation et l’alimentation par voie entérale, et mettre en œuvre une sédation continue et profonde jusqu’au décès. Car heureusement, ni l’État ni les juges n’ont le pouvoir de se prononcer sur de telles décisions !
► texte intégral sur le site de l’Église en France : Déclaration du groupe bioéthique sur la fin de vie , une ambition : la protection des plus fragiles