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Lettre adressée aux parlementaires
du département de la Loire
Mesdames, Messieurs les parlementaires
Par ce courrier, qui sera également publié sur le site du diocèse de Saint-Étienne, je souhaite vous exprimer ma grande inquiétude, et celle de beaucoup de catholiques, au sujet du nouveau projet de loi sur la fin de vie. Ce texte, encore plus permissif que le précédent, nous est présenté comme un droit supplémentaire, un progrès qui permettra à chacun de choisir sa fin de vie, comme une loi d’équilibre ou de fraternité, un moindre mal. Cette rhétorique est trompeuse. Elle cache mal la gravité de la transgression de cet interdit de tuer qui est au fondement de toute société, de toute vie en commun, et auquel se réfère le Serment d’Hippocrate. On peut arguer des restrictions et des limites apportées par le texte, mais quand on regarde dans les pays qui se sont engagés sur cette voie, que ce soient les Pays-Bas, la Belgique ou le Canada, on s’aperçoit qu’une fois la digue ouverte, les protections sautent les unes après les autres. C’est un fait, les motifs et les actes d’euthanasie débordent systématiquement du cadre qui a été initialement posé.
Dans leur excellente tribune du 12 mai dernier, Emmanuel Hirsch et Laurent Frémont constatent : « Le 26 mars dernier, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a publié un rapport alarmant dénonçant la façon dont le Canada propose, voire facilite, l’euthanasie des personnes handicapées ou pauvres, faute d’alternative sociale ou médicale suffisante. On ne soulage pas la souffrance, on y met fin en supprimant le souffrant. Le Canada démontre que la loi a une fonction expressive : une fois l’interdit levé, les mentalités évoluent très rapidement. Près de neuf ans après la légalisation de l’euthanasie, 28 % des Canadiens déclarent que le fait d’être sans abri est une condition suffisante pour pouvoir bénéficier de l’aide à mourir. »[1] Allons-nous supprimer les personnes handicapées, les SDF, les migrants… ? Et quel message le vote d’une telle loi enverrait-il aux personnes âgées ou gravement malades ? Doivent-elles comprendre qu’elles dérangent, qu’elles sont invitées à partir sur la pointe des pieds ? La loi a comme première mission de protéger et de défendre les plus fragiles et les plus pauvres. On a supprimé la peine de mort, ce n’est pas pour la rétablir à grande échelle !
La fraternité, inscrite dans notre devise nationale, doit plutôt nous inciter à développer les soins palliatifs, alors qu’en France 48 % des personnes n’y ont pas encore accès. Là, on accompagne, on soulage, on aide à vivre les dernières étapes avec les proches, on se prépare à ce moment décisif. À cet égard, je me réjouis du texte de loi actuellement en discussion sur ce sujet. Par ailleurs, face au mal-être croissant de nombreuses personnes, et notamment des jeunes, allons-nous poursuivre cette fuite en avant plutôt que de nous engager dans leur accompagnement, en leur donnant des raisons de vivre et d’espérer, avec les soins nécessaires pour ceux qui sont en fragilité psychologique ? Comment peut-on d’un côté promouvoir la « journée nationale de prévention du suicide », jusqu’à en faire même une « cause nationale », et de l’autre proposer… « le suicide assisté » ? Où est la cohérence ?
Il me tenait à cœur de vous partager ces réflexions face au risque d’un bouleversement majeur pour notre société. Tout en vous redisant mon respect pour la mission importante qui est la vôtre et que je sais difficile, soumise à bien des pressions, je vous invite à écouter l’immense majorité des soignants qui ne veut pas s’engager sur cette voie, soutenue par de nombreuses personnalités de toutes sensibilités. J’en appelle à un sursaut de lucidité et d’humanité, de conscience et de courage politique.
En restant disponible pour évoquer avec vous ces questions, je vous prie de bien vouloir agréer, Mesdames, Messieurs les parlementaires, mes salutations respectueuses et cordiales.
+ Sylvain Bataille
Évêque de Saint-Étienne
[1] Tribune de La Croix du 12 mai 2025. « Fin de vie : l’euthanasie ne s’encadre pas, elle déborde » de Laurent Frémont et Emmanuel Hirsch.